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Le plaisir de rompre, 1897, Jules renard


Voici le lien du texte intégral de la pièce : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Plaisir_de_rompre


         Surprise par le titre, je me suis penchée sur cette oeuvre, et je dois dire qu'elle ne m'a pas déçue. Pour commencer, j'adore le théâtre qui a l'avantage d'être facile et rapide à lire et on peut le lire à plusieurs ce qui donne très vite une dimension ludique à l'exercice...

Ensuite, la pièce ne fait QU'UN SEUL ACTE et elle est disponible sur Internet (voir le lien au dessus) et c'est bien pratique.

 

De plus, cette pièce est dédiée à Edmond Rostand, mon auteur dramaturgique préféré, donc la pièce ne peut être qu'exceptionnelle !

 

       J’ai trouvé la pièce d’une grande simplicité et cela m’a beaucoup plu. J’ai trouvé que certaines phrases étaient magnifique notamment lors de la lecture de la lettre de Maurice. Je trouve que leur histoire d’amour est magnifique, avec tout le lyrisme et le pathétisme que l’on attend. Je me suis mise à envier la rupture de ces personnages : moi aussi j’aurais aimé rompre avec quelqu’un de cette manière (malheureusement la réalité est plus cruelle).

         Mais c’est avant tout une comédie. Et la pièce, en quelques pages, m’a beaucoup fait rire. Les descriptions que chacun fait de son futur partenaire sont hilarantes. J’aime beaucoup le précis de Jules Renard sur les portraits et la mise à distance entre les partenaires et les personnages principaux : ils s’apprêtent à faire leur vie ensemble, mais ils sont plus loin que jamais.

résumé de la pièce


         Maurice et Blanche prennent la décision de rompre car ils doivent tous les deux se marier chacun de leur côté : Maurice se marie avec Berthe que Blanche lui a présenté, et celle-ci se marie avec M.Guireau. Maurice se rend donc chez Blanche pour récupérer ses effets personnels et l’inviter à son mariage, mais il conserve le portrait et les lettres de Blanche, qui elle ne conserve qu’une lettre.

 

Cette rencontre leur permet de ressasser leur amour toujours enflammé par une inquisition  mutuelle au sujet de leurs prétendants.

« Maurice : “Cette inquisition réciproque est la meilleure preuve de notre bonne foi.” »

Illustrations de Maillaud extraites de l’édition Fayard, 1911

Biographie

 Jules Renard (1864-1910) :

C'est un écrivain et auteur dramatique français (roman, journal, théâtre) de la Belle Epoque.

Il est surtout connu pour avoir écrit Poil de carotte en 1894.

Il étudie à la pension de Nevers et comptait aller à l'ENS (École Normale Supérieure) mais il préfère fréquenter les cafés littéraires, les théâtres et les milieux du journalisme.

 Il côtoie de nombreux artistes comme Edmond Rostand qu’il admire énormément. 

En 1888, Jules Renard se fiance à Marie Morneau pour un mariage de raison mais heureux.

En 1896, il habite dans la résidence qu’il appelle « La Gloriette » (un ancien presbytère) à Chaumot dont il devient le conseiller municipal. Jules Renard devient maire de Chitry en 1904 et succède à son père qui vient de se suicider. Il meurt d’artériosclérose en 1910 à l’âge de 46 ans et est enterré à Chitry-les-Mines dans une tombe en forme de livre ouvert taillé par lui même.

La pièce

         Le Plaisir de rompre est une pièce à portée autobiographique représentée pour la première fois en 1897 au Cercle des Escholiers et publiée en 1898. Elle sera reçu à la Comédie Française en 1901.

         Il s’agit de la première pièce de théâtre écrite par Jules Renard, ce pourquoi elle est dédiée à son ami Edmond Rostand, qui s'est déjà illustré en tant que dramaturge : « Au jeune Maître en poésie dramatique Edmond Rostand, hommage d’écrivain et souvenir d’ami. »

 

A/ Lieu de la pièce : 

      Le déroulement de la pièce se situe à Paris dans le 5e arrondissement. Il s’agit du quartier le plus ancien de Paris et qui constitue une grande partie du quartier latin. Il est situé en bord de Seine. On appelle cet arrondissement « l’arrondissement du Panthéon » car elle est proche de La Sorbonne.

       Les personnages se situent dans le « petit salon » d’une « femme qui a beaucoup aimé et ne s’est pas enrichie » selon la première didascalie : il s’agit de l’appartement de Blanche.

 

B/ Les personnages :

2 personnages présents : Blanche et Maurice.

5 personnages mentionnés : Berthe (la future femme de Maurice), la fleuriste, madame Paulin, M.Guireau (le futur mari de Blanche) et la mère de la fiancée de Maurice.

  •         Blanche est une femme d’âge mûre, plusieurs fois mariée et modeste qui a déjà tout vécu. C’est une femme d’expérience.

“Vieilles dentelles, c’est son seul luxe, tout son héritage.”

  •         Maurice est un jeune homme qui débute dans la vie. Il correspond à peu près à l’image d’un homme au XIXe siècle :

« Maurice : “Il pose son chapeau et sa canne” “bottes vernies” », Didascalie (p.7) 

Maurice porte un chapeau (peut être un haut de forme), et son élégance est manifeste par le cuir vernis de ses chaussures.

Mais  c'est un homme qui a peur de se marier : 

« Maurice : “Je pense à des histoires de vitriol.” ». 

 

« Blanche : "Est-ce assez vilain, un homme qui a peur !" ».

Le vitriol est un acide sulfurique, donc ici il est question de suicide.

Néanmoins selon Alain Corbin, un homme après la Révolution Française est vertueux par sa virilité car il est considéré comme « prédisposé naturellement à la vigueur ». Un homme doit donc fumer et supporter l’alcool. Or ici Maurice ne fume pas et ne boit pas.

  •         Maurice et Blanche semblent avoir eu une liaison dans le passé : Blanche est, en effet, la maîtresse de Maurice, à la manière d’une pédéraste : elle lui a enseigné les bonne manières, la bonne convenance et elle a été la première expérience amoureuse de Maurice.

 

C/ Les accessoires de la pièce :

  • Au début de la pièce, dans la deuxième didascalie, Blanche est assise et lit une lettre ancienne, qu’elle cache dans une boîte de nougatine de Nevers : symbole passé de l’amour de Maurice envers elle. C’est la seule lettre qu’elle n’a pas brûlée.
  • La cheminée allumée où brûle encore un feu ardent : symbole de la passion amoureuse entre Maurice et Blanche.
  • La carte de la fleuriste
  • La carte de Madame Paulin
  • Un bouquet de 10 francs livré tous les matins.

analyse

I/ Portée autobiographique de la pièce :

 

      Jules Renard écrit sa pièce après avoir emménagé dans sa résidence la Gloriette en Bourgogne avec sa femme et ses deux enfants, ce pourquoi son œuvre est légèrement parsemée de références à la nature bourguignonne. Il est déjà membre de la Société des Gens de Lettres et il est en pleine rédaction de son Journal.

L’année de production de sa pièce correspond aussi à l’année de mort de son père.

 

  • Le protagoniste principal : Maurice

Jules Renard décide d’appeler son personnage principal Maurice. Mais Maurice est aussi le prénom de son frère aîné. On pourrait alors se demander si la pièce ne raconte pas un moment de la vie de son frère, ou s’il s’agit simplement d’un hommage.

  • La géographie de la pièce :

On sait que Jules Renard a vécu à Paris comme en Bourgogne : ce pourquoi la pièce se passe dans le 5e arrondissement de Paris. Mais où est la Bourgogne ? L’écrivain s’inspire beaucoup de la Bourgogne pour décrire les paysages dans ses œuvres. Ici, la ville de Nevers où Jules Renard a passé ses études (en pension) est présente grâce à une boîte de nougatines de Nevers, boîte où est rangée la lettre d’amour de Maurice au début de la pièce et au moment de sa lecture.

  • Les mariages de raison :

Jules Renard épouse Marie Morneau dans un mariage de raison qui s’est avéré heureux, tout comme Blanche et Maurice. Blanche épouse M.Guireau afin de vivre le reste de sa vie dans la tranquillité et la respectabilité d’un femme de son époque et Maurice épouse la jeune Berthe, un mariage qui s’annonce difficile. Renard voit ici les deux faces d’une même pièce qui a sûrement marquée sa vie conjugale : d’un côté le confort financier, la respectabilité sociétale du mariage, et de l’autre les disputes, les manques d’affections liés au fait que le mariage est de raison et non passionnel. Même si son mariage fut globalement heureux, cela ne les empêchent pas de se disputer de temps à autre.



II/ Le thème de la séparation :

 

    La pièce raconte la fin d’une histoire amoureuse, la fin d’une éducation sentimentale. L’époque où Blanche et Maurice avait une liaison est révolue : Blanche sait que leur amour est impossible à cause de leurs écarts d’âge et de leurs objectifs dans leurs vies qui diffèrent forcément. Blanche a déjà vécue sa vie tandis que Maurice la débute : ils sont incompatibles. Alors, Blanche pousse Berthe dans les bras de Maurice.

 

A/ “L’amour a-t-il progressé ou reste-t-il la seule force résolument non progressiste du monde ?”, Nicolas Briançon (acteur et metteur en scène)

     Cette situation est encore actuelle de nos jours : nous continuons de nous séparer, de nous déposséder des affaires personnelles de notre ex-moitié même si on conserve parfois certains souvenirs. Seulement la plupart du temps, les ruptures et les relations amoureuses se terminent mal. Mais ici, Blanche et Maurice réussissent à discuter gaiement (même si durant un instant le ton monte), à être nostalgiques. C’est ce qui en fait des personnages à qui on peut s’identifier et admirer, envier à la fois.

 

B/ Les nouveaux prétendants :

 

      Nos deux protagonistes “se casent”, comme le dit la pièce, en même temps et chacun de leur côté. De là, Blanche et Maurice se confondent dans un jeu de questions / réponses afin d’en savoir plus sur leurs nouveaux partenaires de vie.

  • M.Guireau, le futur mari de Blanche :

       Selon Maurice, ce monsieur est “un homme périodique et rangé”, qui rend visite à Blanche occasionnellement (“une fois par quinzaine”). C’est un homme qui vécu sa vie aussi avant de rencontrer Blanche puisqu’il a des habitudes de vie. Son âge nous confirme cette hypothèse, en effet, c’est un homme d’âge mûr :

“A son âge, on a plus de petit nom (...) Moi je l’appelle M.Guireau (...) Oui, toujours”

Ce manque d’affection ou de complicité entre les deux adultes témoigne d’une absence de passion amoureuse, ce que Blanche avait avec Maurice. C’est un amour platonique et absolument pas charnel :

“M.Guireau sait se tenir. C’est un ami paternel, qui m’aime pour moi, non pour lui, et, sachez-le, il m’inspire une durable sympathie dont il se contente”

“M.Guireau conserve les manières du siècle dernier”

A première vue, c’est un homme qui semble ennuyeux et monotone. On se demande comment Blanche a pu quitter Maurice pour un homme tel que lui. Sa seule qualité est qu’il est musicien :

“De plus, c’est un musicien de premier ordre, et, quelquefois, il apporte son violon”

Blanche a certainement envie de vivre les dernières années de sa vie dans le repos et le confort d’une bonne situation que lui procurera son mari. Elle ne l’épouse pas par amour, mais par conformité : c’est un mariage de raison.

 

  • Berthe, la fiancée de Maurice :

        C’est une femme matérialiste et superficielle :

“Blanche : Aime-t-elle les belles choses ?

Maurice : Oui, quand elles sont bien chères.

Blanche : A-t-elle des goûts ?

Maurice : Elle a celui de la mode”.

Maurice ne semble guère intéressé par les préoccupations de sa future épouse. Cette femme est le contraire de Blanche qui elle est modeste et humble. Elle manque d’originalité, elle n’est pas unique contrairement à Blanche (“Vraiment, vous n’êtes pas une femme comme les autres”) :

“Elle aime tout ce que j’aime”

Cependant, c’est une belle jeune femme :

“Jolie et fraîche comme le titre : au Printemps.”

“C’est le bouquet de mon dernier feu d’artifice”

C’est une femme qui n’a jamais eu de mari donc elle est toujours vierge, et c’est la femme de son ultime union : mais elle ne lui correspond pas, d’ailleurs il dit qu’elle a les manières d’une “chaise sous sa housse”. Mais comme Maurice n’a guère le choix puisqu’il ne peut pas vivre avec Blanche, il s’oblige à s’habituer à vivre avec Berthe : “Elle me déplaît de moins en moins”.

 

 

Les deux personnages s’apprêtent donc à se quitter pour continuer leur vie avec des partenaires qui ne leur plaisent pas, sauf peut être pour Blanche qui pourra mener alors une existence tranquille et une vieillesse confortable. Maurice et Blanche sont les deux faces d’une même pièce, celle du mariage.




sources

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